Graphiques, tactiles et parfois interactifs, les dispositifs inclusifs (plan d’orientation en relief, dessin en relief, maquette en volume, reproduction d’objet…) sont pensés pour rendre la connaissance accessible à tous au sein des institutions culturelles. Il peut être tentant de les étudier du point de vue de leur réception par le public cible des non-voyants et des malvoyants ; à moins que l’on fasse le choix d’observer l’usage qu’il en est fait, quel que soit le public, afin d’en savoir plus sur l’intérêt qu’ils suscitent dans un parcours de visite. C’est le parti pris de l’étude sur les publics réalisée par MUXXE au Pavillon de l’Horloge du Louvre à l’automne 2019.

Exploration de l’usage (caché) des dispositifs inclusifs

En 2016, le musée du Louvre a ouvert un premier espace d’exposition dédié à son évolution fonctionnelle et architecturale. Le principe est simple : utiliser certains espaces de circulation pour expliquer les tranches de vie de ce monument historique. Premier du genre, le Pavillon de l’Horloge aide les visiteurs à comprendre la transformation du palais royal en musée. Maquettes animées, films en 3D, vitrines et panneaux d’information expliquent l’architecture du palais et ses multiples fonctions. Afin de rendre le propos muséal accessible à tous les publics, le musée a souhaité intégrer à l’offre de médiation douze stations inclusives. Elles sont réparties entre les fossés médiévaux, la salle de la Maquette et la salle Saint-Louis. (Illustration 1)

Objectifs de l’étude et méthodologie

L’observation des publics au Pavillon de l’Horloge, trois ans après son inauguration, était motivée par cette question au sein de l’agence de design inclusif : si ces supports tactiles ont été conçus pour les malvoyants et les non-voyants, quel rapport le grand public entretient-il avec eux ? À travers cette étude de cas, il s’agissait donc de prendre le temps d’identifier et de caractériser les interactions réelles d’un visiteur lambda avec des dispositifs considérés comme dédiés à un public.
Réalisée in situ, l’étude a porté sur l’observation des publics du Pavillon de l’Horloge, de leurs parcours et de leurs interactions avec les 12 stations tactiles. Six jours d’observation en shadowing ont été nécessaires, organisés en période scolaire et hors période scolaire (juillet, août et septembre 2019). Au total, 743 visiteurs ont été observés, avec une proportion équivalente d’hommes et de femmes, 14% de jeune public, et une majorité de groupes (familles pour l’essentiel). Choisi pour son affluence importante et régulière, ce parcours de visite a permis d’étudier un échantillon de visiteurs représentatif du public fréquentant le Louvre avant-Covid, tant par le volume que par la typologie de visiteurs. (Illustration 2)
Pour étudier la découverte de ces stations par les visiteurs, quatre points d’attention ont été définis : les parcours des visiteurs dans cet espace tripartite (fossés médiévaux, salle des maquettes, salle St Louis), la durée de l’attention aux dispositifs, les interactions (par station) et, dans une dernière partie du travail, l’observation fine de la découverte d’un panneau tactile, zone par zone, pour les quatre stations les plus populaires du parcours.
L’observation minutieuse des visiteurs, reportée systématiquement sur des cahiers d’observation ad hoc et documentée par des photographies, a permis de collecter des informations sur :
  • le parcours des visiteurs,
  • la durée de l’attention des visiteurs au fil du parcours et par station, 
  • le type et la quantité d’interactions avec les stations tactiles,
  • le temps d’interaction par station.

La portée de l’inclusif quand il n’est pas dédié

Parmi les enseignements issus de l’étude du Pavillon de l’Horloge, cinq constats semblent particulièrement intéressants à partager :
  • les stations inclusives suscitent l’intérêt et sont touchées par tous les publics, qu’il soit voyant ou non-voyant, enfant ou adulte. Il semble qu’il n’y ait pas non plus d’obstacle d’ordre culturel,
  • une station inclusive retient l’attention de tous (avec une intensité variable cependant : de 9 à 25 secondes) même quand ce n’était pas au programme de leur visite du Louvre. Pour certains, elle modifie le parcours prévu initialement (détour vers la salle de la Maquette et/ou la salle St-Louis). Dans tous les cas, l’attention est plus importante en entrée de salle : la première station génère plus d’interactions et plus longtemps,
  • un dispositif inclusif crée de la conversation au sein du groupe,
  • une majorité de visiteurs recherche de l’interactivité ; nombre d’entre eux ont le réflexe d’activer un bouton (bouton qui est en réalité un repère positionné sur le panneau pour faciliter l’orientation),
  • les interactions sont riches (cf. infographie sur les typologies d’interactions) et relativement longues (16 secondes) comparées au temps moyen d’attention constaté face aux dispositifs numériques en général.
Si l’on note une attention au parcours de visite variable selon les visiteurs, il faut toutefois reconnaître que le Pavillon de l’Horloge du Louvre parvient à retenir l’intérêt des visiteurs qui n’avaient pas forcément imaginé consacrer du temps à l’histoire du monument en tant que tel. Non seulement le temps est souvent compté pour un visiteur du Louvre tant la richesse des collections est énorme, mais il est également difficile de résister à l’attrait considérable de la Joconde et du pavillon des arts égyptiens. (Illustration 3)

Conclusion

Sorte de photographie grand format du public face aux dispositifs de la médiation culturelle inclusive, ce travail d’observation contribue à nous remémorer les pratiques des visiteurs face aux stations tactiles avant la crise pandémique de Covid-19. Il apporte également un éclairage sur ce qu’il convient de considérer comme primordial pour qu’une visite culturelle soit de qualité, à la fois intéressante et confortable pour tous : utiliser au mieux l’entrée de salle d’exposition (et l’attention maximale du visiteur) pour l’informer sur le parcours (en proposant, par exemple, une vue d’ensemble et une orientation) et sur l’intention pédagogique (en permettant d’identifier le coeur du propos muséal).
Il reste toutefois des questions à approfondir si l’on veut comprendre plus finement l’usage des dispositifs inclusifs par tous les publics. Nous en indiquerons trois. Une fois le phénomène de conversation observé autour des stations, quel sens pouvons-nous lui donner (incompréhension du groupe ou partage de connaissances) ? Dans l’hypothèse où ces stations tactiles contribuent à l’appropriation du propos muséal par le public, l’effet est-il limité au temps de la visite ou intervient-il aussi post-visite ? La variété des supports de médiation proposés sur site (écrans, panneaux graphiques, stations à toucher) contribue-t-elle à la compréhension de l’exposition par le public ? Des questions, il y en aurait beaucoup d’autres. Le public est une source (profonde) d’inspiration.
Télécharger l’étude complète : ici
Illustration 1 :
L’une des douze stations tactiles du Pavillon de l’Horloge, sur le passé impérial du musée (Le Louvre de la Révolution à la fin du Second empire, 1789-1870) – Infographie : Macarena Balcells
Illustration 2 :
Vue d’ensemble du Pavillon de l’horloge + infographie “les parcours types”. Légende : une majorité de visiteurs se contentent de traverser l’espace d’exposition pour se rendre aux antiquités égyptiennes. À noter toutefois : un tiers des visiteurs interrompt son parcours pour porter attention aux explications. 5% du public suit le parcours complet et interagit avec toutes les stations ; ils consacrent en moyenne 20 minutes à ce parcours, soit sept fois plus que les autres. Infographie : Macarena Balcells. Source : Etude des publics au Pavillon de l’Horloge, Muxxe-Tactile Studio.
Illustration 3 :
Les typologies d’interaction par station inclusive. Commentaire : L’étude des publics au Pavillon de l’Horloge du Louvre nous apprend qu’un visiteur interagit systématiquement avec une station tactile. Infographie : Macarena Balcells. Source : Etude des publics au Pavillon de l’Horloge, Muxxe-Tactile Studio.

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